Je mourrai en communiste

Publié le par jenevousaimeplus.over-blog.org

J'étais hier en service commandé, et pour la bonne cause j'ai passé deux heures avec l'Esthète angoissé sur le parking d'un supermarché en périphérie, glacée par les rafales de vent, mais la lumière était magnifique.

Après une journée difficile, la reprise du travail après un week-end trop sociable (j'ai appris à cuisiner une recette du terroir en compagnie de l'Ami qui fait sa convalescence chez nous parce qu'il n'a pas de maison et une double fracture (bientôt je devrai l'appeler autrement, il a rendez-vous demain à l'hôpital) (et ce soir je suis seule chez moi, je pense que je vais regarder un film avec Catherine Deneuve) (autre antidote, plus séduisant que Sophie Marceau, aux terreurs nocturnes) - recette du terroir à base de bœuf et de carottes), je tentais vainement de me réchauffer dans un cinéma alternatif de ma ville. J'y connais beaucoup de bénévoles (j'y ai moi-même passé quelques heures - oh, très peu - à faire le bien autour de moi en vendant des tickets), et mon ami le Chanteur vert m'a préparé un chocolat chaud. Ô infini bonheur qu'apportent les privilèges.

Je pensais donc, le seul désagrément étant, comme souvent, que je doive fumer dehors, c'est à dire dans un "froid de canard"(spéciale dédicace à Soeurette), que ma soirée était sur des rails.

Depuis quelques jours, je faisais des plans sur la comète : comment allais-je aborder Virginie Despentes ? J'étais sûre - à tort, qu'elle serait là. Elle n'était pas là, tant mieux, pas de mission, de toute façon j'étais fatiguée, l'horaire de la séance (21heures 30) me semblait outrageusement outrepasser mes limites physiques et morales d'endurance (et dire qu'avant, je me couchais si tard). Le film de la séance précédente (une comédie romantique argentine sur deux garçons qui, contre toute attente, s'aiment) à peine terminée, deux files uniformément sexuées se croisaient : les garçons sortaient, les filles rentraient. Nous nous mîmes au balcon. J'étais avec l'Esthète angoissé, et d'autres gens que je connaissais tous et toutes, mais pas assez pour que je puisse remplacer leur prénom (d'ailleurs, les connais-je tous et toutes ?) par une prériphrase drôle. Il y avait quand même quelqu'un que je peux nommer ici : ma copine Émotions forte. Le film commence. MUTANTES. La voix off n'est pas motivée, le montage on dirait un documentaire d'Arte, et les femmes interviewées dans leur bibliothèque. C'est moche, mais on s'en fout, je suis venue là parce que le sujet m'intéresse : le féminisme pro-sexe.

J'aurais dû me renseigner avant, parce que si je voulais être méchante (je vais l'être) je dirais que ces philosophes parlent de sexe, d'accord, mais par les petits bouts. Quoi de la pornographie ? Toujours le même laïus : lutter contre les réactionnaires bigots. Discours frelaté et obsolète. Bon, bien sûr, elles se posent aussi, ces brillantes intellectuelles émancipées, contre une attitide féministe un peu coincée, qui refuse le pouvoir des hommes, mais aussi le plaisir. Mais quand même, ce qui serait pertinent, aujourd'hui, serait plutôt de considérer les modes de production de cette industrie-là. Le porno, c'est comme H&M. Oui, je pourrais y aller (même au rayon enfant, c'est encore moins cher), je pourrais être bien fringuée, mais les esclaves ? Oui, je pourrais être excitée par des scènes hardcore, mais les esclaves ? La souffrance physique, les conditions de travail, la dignité humaine, est-ce que ça n'intéresse vraiment plus personne ?

Bref, je reviendrai là-dessus sans doute un autre jour, mais vous l'aurez compris : je suis sortie énervée. Quand j'ai résumé (mal, j'en conviens) mes impressions à l'Esthète angoissé : "au final, si tu es une femme, si tu es intelligente et si tu aimes baiser, tu dois te faire pousser la moustache et devenir lesbienne" (c'était la deuxième partie du documentaire), il m'a juste répondu "oh, arrête de te sentir exclue".

Il était minuit, ou presque.

La nuit était froide, mais le manque de nicotine m'accompagnait : j'allais rentrer à pieds, en fumant. Ma maison n'est pas si loin. J'allais parler au téléphone avec Belle brute, parti travailler à l'étranger. D'ailleurs j'avais reçu de lui trois messages, impatients puis vexés. J'ai d'abord fait le chemin en essayant de l'appeler, mais il ne répondait pas. J'étais un peu énervée d'entendre son message d'accueil. Mais je marchais. Et puis, à mi-chemin, je m'aperçus que la route était très sombre, le quartier mal famé, hanté par des silhouettes mâles (mais pas du tout du même genre que celles de la file de la séance du film romantique de 19 heures 30 au cinéma alternatif), qui ostensiblement me suivaient en reniflant. Il était dit que j'allais payer cher ma sortie féministe post-porn. J'étais confrontée de façon plus qu'abrupte avec le monde des mâles oppresseurs et sadiques, sans le réconfort de la voix masculine amoureuse qui aurait pu m'accompagner.

J'ai fait demi-tour, pour attraper un taxi, je ne tente pas le diable (pas celui-ci en tout cas, il est trop moche), et ça sentait le viol à plein nez. Le taxi m'a déposée chez moi, après avoir patienté très longtemps devant un obèse qui nous coupait la route, et la présence de l'obèse, agressive et molle, a augmenté d'un cran ma colère, en gonflant l'injustice du monde dont j'étais hier soir la victime.

Devant chez moi, un billet de 50 pour une course de 8 euros (en comptant le pourboire). "Pas de monnaie madame" ("madame t'emmerde").

Dans mon immeuble, il y a un café tenu par un mec qui s'appelle Momo, le café a l'air pourri et il est fermé la plupart du temps ; Momo roule en gros 4x4 et porte exclusivement des trainings satinés blancs. Ses goûts sont les siens, je ne les discuterai pas ici, il est plutôt gentil : c'est un voisin qui dit bonjour en souriant, et aujourd'hui c'est déjà pas mal (j'ai raconté cette histoire aujourd'hui à Trompette, ça m'a juste pris le trajet jusqu'à la sandwicherie (le retour était réservé à sa soirée à lui) c'est dingue comme c'est plus long - écrire). Le café de mon voisin était le seul lieu probable de monnaie. Alors j'essaie d'y entrer, mais la porte est fermée. Je frappe, j'insiste "c'est la voisine" ; une femme d'une quarantaine d'années, en pull marronnasse et bouloché, m'ouvre la porte à reculons, me regarde d'un air à reculons aussi, du genre "je ne te connais pas mais je te déteste déjà", mais finalement, j'insiste, sans envie mais ai-je le choix, et elle me fait entrer. Je n'y étais jamais allée, dans le café de Momo. C'est moche. Les murs sont recouverts de stuc à l'antique et en résine. Au bar, un vieux parle tout seul en bavant. Au fond, Momo figure un Christ solitaire, assis seul face à l'entrée, derrière une table rectangulaire. La dame qui ne m'aimera jamais me prend mon billet de 50, je suis fatiguée, Momo à son approche sort une liasse de billets, je devrais sans doute lui faire un petit signe, mais de toute façon personne ne me reconnaît jamais, et lui, d'aussi loin, ne saura pas que je suis la voisine, et puis je suis fatiguée, et tout le monde me déteste. Tant pis. La dame qui ne m'aime pas me donne 2 billets de 20 et un billet de 10, elle me raccompagne, toujours sans m'aimer, j'essaie quand même d'être gentille mais c'est trop tard, je vais voir le taxi, je me dis "quand même je lui donne un pourboire", il me répète "mais je vous ai dit que je n'avais pas de monnaie madame" ("madame t'emmerde"), alors il m'oblige, sournoisement, à lui donner 10 euros, et moi je lui dis quand même, et audiblement (pardon), "t'es vraiment un crevard".

Je suis rentrée, je me suis plainte à notre ami qui fait sa convalescence chez nous, et on a fumé une clope.

Je l'ai quitté assez vite, et puis je suis encore tombée sur le message d'accueil de Belle brute.

Bizarrement, je me suis endormie très vite.

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